Le BUMIDOM, BIBIDÒM en créole:Un exode volontaire ?
En Guadeloupe, malgré les années, l'époque du BUMIDOM reste omniprésente dans l'esprit des grands-parents et des parents. En effet, beaucoup de familles ont été touchées directement ou indirectement par cette migration organisée pour "là-bas". |
Présentation du BUMIDOM |
Le Bureau pour le
développement des Migrations intéressant les Départements
d'Outre-mer(BUMIDOM), est une société d'état créée par un
arrêté du 26 avril 1963. Sa mission consiste à organiser
l'émigration,le déplacement, l'insertion professionnelle par un
placement direct dans un emploi ou par le biais d'une
formation des migrants antillais en général et
guadeloupéens en ce qui nous concerne.
Pour saisir la philosophie de cet exode massif de guadeloupéens
vers la "terre promise", il faut se référer au
contexte socio-économique de l'époque en Guadeloupe mais aussi
en France.
En Guadeloupe la situation est caractérisée par une forte
poussée démographique (+ de 58 % entre 1950 (206 000 h) et
1980(327 000 h)), source : INSEE) associée à des problèmes de
chômage très aigus. Par ailleurs, ces difficultés sociales
commencent à générer de nombreuses grèves et même des
émeutes. A titre d'exemple, en 1967 éclate une grève très
dure dans le secteur du bâtiment réprimés dans le sang (50
grévistes sont tués).
A l'opposé, la France considérée comme un eldorado est en
pleine croissance économique (période des trente glorieuses)
avec une grande pénurie de main-d'uvre dans le bâtiment,
les postes, les transports et les métiers hospitaliers
notamment.
D'où le recours aux guadeloupéens après avoir fait venir de
nombreux travailleurs des ex-colonies du Maghreb et d'Afrique.
Par cette solution, le pouvoir français réalise une pierre deux
coups : régler ses problèmes de main-d'uvre et
désamorcer la crise sociale mais aussi politique grandissante en
Guadeloupe.
La vie des migrants guadeloupéens en France |
L'importance du phénomène |
Migration des guadeloupéens en 1962 |
|||
Années | Migrations féminines | Migrationsmasculines | Regroupements familiaux |
1962 |
35 |
332 |
- |
1963 |
48 |
539 |
35 |
1964 |
594 |
1000 |
352 |
1965 |
892 |
1034 |
675 |
1966 |
653 |
1015 |
789 |
1967 |
681 |
803 |
905 |
1968 |
456 |
922 |
668 |
1969 |
676 |
939 |
863 |
1970 |
625 |
940 |
969 |
1971 |
663 |
752 |
1137 |
1972 |
471 |
1099 |
942 |
1973 |
456 |
1100 |
994 |
1974 |
378 |
1020 |
1105 |
1975 |
526 |
1003 |
1198 |
1976 |
316 |
686 |
1756 |
1977 |
300 |
720 |
1559 |
1978 |
292 |
821 |
1557 |
1979 |
185 |
710 |
491 |
1980 |
327 |
774 |
485 |
1981 |
345 |
816 |
265 |
Source :archives BUMIDOM |
La répartition géographique des migrants |
Loin de concerner la seule région parisienne, les migrants ont été délibérément dispersés sur tout le territoire national afin "d'éviter toute réaction négative dans la population métropolitaine". Des lettres du BUMIDOM trouvées dans les dossiers des migrants stagiaires (dont la plupart était en province) leur recommandaient fortement de ne pas monter à Paris où le coût de la vie et les logements manquent. Recommandation non respectée par la suite, car Paris était l'un des buts de cette migration pour l'eldorado.
Répartition géographique 1962 |
||
Lieu |
Femmes | Hommes |
Région parisienne |
58, 6 % |
11, 89 % |
Sud |
26, 6 % |
29, 18 % |
Ouest |
10, 8 % |
20, 90 % |
Est |
- |
18,19 % |
Centre |
- |
13, 54 % |
Nord |
- |
6, 30 % |
Source : archives BUMIDOM |
La répartition par secteur d'activité |
Migration féminine 1962 |
|
emploi |
% |
aides-soignantes |
57,4 |
auxiliaires de puériculture |
11, 5 |
monitrices de jeunesse |
7, 8 |
monitrices de l'enfance |
7, 1 |
sténo-dactylographes |
5, 8 |
gens de maison |
4, 6 |
Migration masculine |
|
emploi |
% |
bâtiment |
38,2 |
formation préparatoire |
16,4 |
plomberie |
8, 4 |
métaux |
6,7 |
soudage |
4, 1 |
chaudronnerie |
2, 9 |
58,6 % des femmes se trouvaient en région parisienne. Cela est dû principalement au fait que de nombreuses stagiaires aides-soignantesétaient engagées par l'Assistance Publique de la Seine. |
Source : archives du BUMIDOM |
Les difficultés rencontrées |
Les difficultés rencontrées par les migrants guadeloupéens sont à la fois matérielles et psychologiques.
Parmi les problèmes d'ordre
matériel rencontrés, l'épineuse question du logement
prédomine. En effet, avant le départ pour la France, le BUMIDOM
par le biais de son antenne locale, remettait à chaque candidat
à l'exil un dossier comportant des documents qui soulignaient en
autre que le migrant était le premier responsable de son
logement. Outre la certitude de l'emploi, le demandeur doit, lors
de la constitution de son dossier, avoir la possibilité d'être
logé décemment dès son arrivée en métropole. Les candidats
à la migration devaient lire ces documents, sinon, les employés
des agences dans les DOM devaient leur expliquer les termes de
l'accord avant que le candidat signe. Etait exigé un certificat
d'hébergement (souvent une lettre d'un parent) pour les femmes
qui partaient travailler dans les hôpitaux métropolitains. On
peut ici se demander si les candidats à l'exil en proie au
désespoir, à la misère étaient systématiquement informés
sur les limites de la responsabilité du BUMIDOM en matière de
logement, si ceux qui avaient lu les textes les avaient vraiment
compris. Des lettres de demande d'aide de logement trouvées dans
les dossiers tendent à prouver le contraire. Signalons aussi des
situations de grande précarité où toute vie décente semble
relevée de l'impossible, cas d'une famille de 7 personnes
confinés à Paris dans un réduit de 25 m². Sans parler de ceux
qui ont vu le paradis parisien se transformer en enfer (séjour
dans le métro, disputes familiales débouchant sur l'expulsion
dans la rigueur hivernale, voire la
prostitution,etc.).
Par ailleurs, le logement des candidats à une formation en
métropole était assuré en principe par le centre de formation.
L'autre axe de l'action du BUMIDOM dans le domaine du logement
consistait en la réservation de logements sociaux.
Cependant un constat s'impose, à aucun moment précédant le
départ des candidats, le BUMIDOM n'a informé ces derniers sur
les problèmes de logement, les démarches à faire et le risque
réel d'être "arnaqués" par des propriétaires peu
scrupuleux.
À ces problèmes matériels, se sont greffés des problèmes
psychologiques liés à l'adaptation, au côté pas aussi rose de
la réalité métropolitaine vantée dans les dépliants
touristiques ou plus grave par des proches déjà installés
désirant masquer leur situation réelle pour ne pas afficher au
grand jour leur échec. De plus, le manque de la famille
(enfants, femmes, maris) restée en Guadeloupe s'est très vite
manifesté. D'où l'essor des regroupements familiaux. Il y a
aussi la découverte d'un racisme latent quand il n'est pas
explicite. Par ailleurs, le coût exorbitant du téléphone et
des billets d'avion est un gros obstacle à l'instauration de
rapports normaux avec la famille restée en Guadeloupe.
Vive controverse entre pro et anti BUMIDOM |
Pour les pro-BUMIDOM, il aura
permis à beaucoup de guadeloupéens de s'insérer
professionnellement directement par un emploi ou indirectement
par le truchement d'une formation rémunérée, rôle donc
"d'ascenseur social". Forts de ce travail rémunéré
ces migrants-fonctionnaires pour la plupart ont pu aider
financièrement leurs proches restés sur place. Par ailleurs
face à un chômage endémique en Guadeloupe, le BUMIDOM aura
représenté une vraie soupape de sécurité. En effet, à la
lumière des données chiffrées émanant du BUMIDOM, on constate
que malgré son existence le nombre de chômeurs est allé
crescendo en Guadeloupe (1978:5405; 1979:11309 et 1980:14 256).
A l'opposé les détracteurs du BUMIDOM n'ont pas eu de mots
assez durs pour le stigmatiser:"négrier des temps
modernes", "déportation", "exode
politiquement et socialement pensé dans les cabinets
ministériels", "génocide par substitution". Dans
ce contexte le BUMIDOM rappelons-le créé par l'état a souvent
été considéré comme la manifestation de sa politique dans les
DOM sous couvert de missions sociales assez discutables. Car
comment spolier un pays de sa jeunesse et penser qu'il puisse se
développer, c'est le condamner à vivoter. Par ailleurs, les
sommes considérables consacrées au BUMIDOM( plus de 3 millions
de francs) n'auraient-elles pas eu une meilleure affectation si
elles avaient été investies sur place dans l'agriculture, les
emplois publics, les métiers qui leur ont été proposés en
France dans le secteur du bâtiment par exemple. Ces jeunes
déportés auraient pu sans rompre leurs liens familiaux
s'insérer professionnellement sur place par un emploi ou une
formation et faire ainsi profiter l'économie du pays.
Le BUMIDOM aura cependant permis par l'action des premiers arrivants d'obtenir des avancées sociales non négligeables déjà octroyées aux hexagonaux travaillant aux Antilles notamment les congés bonifiés et de créer au sein de presque chaque centrale syndicale une branche DOM-TOM. Au terme de 19 ans de règne, il prendra en 1982(création le 12/02/1982) le nom d'Agence Nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT). Les missions de l'ANT à la différence de celles du BUMIDOM sont centrées sur la promotion et l'insertion des ressortissants d'outre-mer déjà installés en France.
Un livre bien documenté pour approfondir le sujet |
Alain Anselin : L'émigration antillaise en France,
la troisième Ile, Karthala, 1990 |